Lee « Scratch » Perry (de son vrai nom Rainford Hugh Perry, surnommé entre autres « the neat little man » The Upsetter, Pipecock Jaxxton … ) est un producteur et musicien jamaïcain né en 1936.

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Tour à tour producteur, chanteur, danseur, compositeur, ingénieur du son, bricoleur, porte-parole virulent et visionnaire, il reste un des rares artistes jamaïcains de sa génération encore en activité

Cet homme passe pour un authentique schizophrène, depuis le jour où il détruisit complètement son studio (Black Ark) en y mettant lui-même le feu en 1981. Exilé en Suisse, il y épousa une citoyenne helvétique. Aujourd’hui Lee Perry donne dans le reggae international avec un son new roots, digital, et il n’est désormais plus que chanteur.

Le personnage actuel est tout autre que celui des années 1970. Alors qu’aujourd’hui il est un artiste de concert (comme peut le témoigner son passage au Zénith avec Pierpoljak et Max Romeo en avril 2006) et s’est éloigné de la culture jamaïcaine, dans les années 1970 toute la considération qui lui est vouée, l’est pour son travail de studio et le rôle influent qu’il a joué dans la musique jamaïcaine.

À cette époque il était un aventurier, un bricoleur et expérimentateur qui créa de manière artisanale un son, une musique que personne n’a réussi à imiter, et mérite bien pour ses travaux et son génie extravagant cette comparaison :

« Cet homme est le Salvador Dali jamaïcain » (Bass Culture de Lloyd Bradley)

Ses œuvres, ses techniques, le son qu’il obtenait de son studio (avec un simple 4 pistes) ainsi que ses différentes collaborations ont fait de lui un pilier du reggae, musique qui va vibrer parallèlement à la sienne et qui va connaître brutalement la fin de son âge d’or le jour où il détruisit son studio.

Lee Perry est pour les connaisseurs une figure emblématique de la musique expérimentale – comme Joe Meek pour le rock – même s’il n’est pas reconnu (ni même connu) parmi le monde de la musique savante. Cette musique instrumentale et ses dubs qu’il pouvait créer, bien qu’expérimentaux restaient tout de même rythmés contrairement à d’autres formes de musique expérimentale.

Lee Perry a souvent été en avance sur ses contemporains et découvrit des univers musicaux, par le sample et d’autre audaces, qui ont eu du succès. Lee Perry joua un rôle initiateur, un rôle de père pour le reggae, le dub et la plupart des musiques dites « actuelles » qui en découlent.

Sommaire

Biographie et carrière

Jeunesse 1936 – fin des années 1950

Rainford Hugh Perry est né le 20 mars 1936 à Kendal, un village pauvre de fermiers au nord ouest de la Jamaïque (paroisse de Hanover). Sa date de naissance exacte reste inconnue du fait de l’isolement de ce village. Il grandit dans ce village et commence à travailler tôt dans les champs. Lee Perry gagne peu, connaît la misère et décide vers l’âge de 15 ans de partir. Il erre pendant près de 10 ans. Il s’installa a plusieurs endroits différents, alternant entre travaux manuels, danseur et joueur de dominos (le domino est un jeu très courant en Jamaïque, et on y joue de l’argent). C’est lorsque les gens ont commencé à le voir danser qu’il reçut le surnom « Neat Little man » ou « Little Perry » du fait de sa petite taille.

Après maintes exodes, un mariage qui ne dura pas longtemps, il arriva à Kingston dans la fin des années 1950, avec l’ambition d’y faire une carrière de chanteur dans un climat favorable à l’émergence d’une nouvelle musique jamaïcaine qui va faire du bruit dans l’île, le ska qui est le début d’une grande onde sismique que sera la musique jamaïcaine des années 1960 et 70. Ce climat d’émergence pour la musique est intimement lié avec celui qui amènera la Jamaïque à son indépendance en 1962.

Ses débuts à Kingston 1950-1969

Lee Perry traîne dans la capitale Kingston qui connaît une poussée urbaine incroyable à cette époque, poussée urbaine qui est causée par l’exode rural, et qui est à l’origine de nombreux ghettos (comme Trench Town), et dont les sound system vont pouvoir profiter pour se créer un public. Beaucoup de gens comme Lee Perry rêvaient à l’époque de faire une carrière dans la musique. Lee Perry est présenté à Clement Seymour Dodd dit Coxsone, dans l’espoir de devenir chanteur, cependant ce dernier qui trouvait qu’il n’avait pas de voix refusa de lui enregistrer un disque. Mais vraisemblablement pris par une certaine amitié pour lui, Coxsone accepta quand même que Lee Perry travaille pour lui. Le travail que Lee Perry faisait consistait à faire tout travail qui puisse aider Coxsone, en rapport avec le studio ou non. Comme Lee Perry en témoigna : « Coxsone avait des gens avec qui il aimait bien être, qui l’assistaient et dont il voulait leur présence, j’étais l’un d’eux ». Ainsi il devint conducteur de session d’enregistrement, auditionneur, parolier et même compositeur de chansons.

À l’époque, la rivalité entre sound system était forte au point que certains sound clash ( « duel » entre deux sound systems face au public, les DJ passent des disques chacun leur tour) se terminaient souvent en pugillat avec comme résultat final des blessés assez graves. Et en plus de sound clash la concurrence entre sound systems se faisait aussi par le vinyle en produisant des chansons dont le but était de dénoncer, attaquer l’autre. Lee Perry était la personne de Studio One qui écrivait ces chansons adressées aux concurrents comme Duke Reid. Lee Perry développa à cet époque ce talent de composer des attaques virulentes exprimées implicitement en musique qui se retrouvera plus tard sur les chansons Small Axe des Wailers, et White Belly Rat par exemple. À plusieurs reprises il retente de se faire imposer comme chanteur à Studio One mais Coxsone refuse obstinément, bien que Lee Perry compose des chansons beaucoup plus osées et intéressantes. Il commence à être un porte parole du ghetto, à faire des chroniques sociales en chanson, à dénoncer la violence des politiciens et des mafieux qui contrôlent l’île; sans pour autant abandonner les chansons légères sur l’amour, le sexe et les petites anecdotes de la vie quotidienne. Pendant cette période où il travaille à Studio One, il collaborera avec Clancy Eccles avec qui il liera une relation durable. Il va aussi y faire la connaissance des Wailers avec qui il composa et chanta (la chanson Pussy Galore par exemple). Il assistera aussi aux débuts de Toots and the Maytals, Lord Tanamo, Max Romeo et d’autres …. En 1965, il fera la connaissance de Pauline Morrisson avec qui il se mariera et qui jouera plus tard un rôle important dans la production des disques de Lee Perry (à l’époque elle avait 14 ans alors que lui en avait 28).Cette même année, il enregistre à Studio One « Chicken scratch », où il y figure en tant que chanteur. C’est cette chanson qui rendit public son surnom qu’il portait bien avant et qui figure désormais sur tous ses disques. Cette chanson ainsi que quelques autres ont souvent été enregistrées discrètement en fin de session d’autres enregistrements considérés comme plus important par Coxsone qui ne voulait pas entendre Lee Perry chanter. Lee Perry est exploité par Coxsone (comme la plupart des musiciens qui travaillaient pour lui), on lui pille ses chansons car il n’est pas crédité comme l’auteur de celles qu’il écrit pour d’autres, il est aussi mal payé. C’est pourquoi en 1966 il quitte Studio One.

Il se met alors à travailler avec et pour Prince Buster chez qui il produira quelques 45 tours. Il travaillera aussi chez Joe Gibbs qui était le concurrent de Dodd, chez qui il produira en 1968 la chanson I am the Upsetter qui sera à l’origine du label qu’il va créer «Upsetter », (énerveur, emmerdeur), un nouveau surnom « The Upsetter » et quelques années plus tard le nom de son groupe « The Upsetters ». Perry commence petit à petit à voler de ses propres ailes en produisant lui même ses disques bien qu’il ne possède pas encore son propre studio. À cette époque il va produire et chanter d’autres chansons comme « People Funny Boy »,  » You Crummy » … Il va aussi travailler quelque temps en collaboration avec Clancy Eccles.

Petite anecdote à propos de la chanson People Funny Boy: les pleurs d’enfant dans la chanson sont ceux de celui de Lee qui, pour obtenir l’effet désiré, lui a mis une fessée.

Succès international 1969 -1970

1969 sera une année où Lee « Scratch » Perry va apparaître sur le devant de la scène. Lee Perry va faire la connaissance des Hippy boys qui contenaient parmi eux deux figures historiques du reggae et qui joueront un rôle crucial pour Lee Perry, les frères Barrett (Aston à la basse et Cartlon à la batterie). Avec eux notamment et avec Val Benett,Alva Lewis à la guitare et les membres du Gladdy’s all stars il fonde le groupe The Upsetters. Il y avait déjà eu deux groupes qui s’appelaient The Upsetters, le premier était un vieux groupe jamaïcain des années 1950, le deuxième était le Gladdy’s all stars . Avec tout cet ensemble, il enregistre l’album instrumental Return of Django et signe un contrat chez Trojan Records. L’album se vend bien et l’instrumentale éponyme Return of Django atteint le n°5 des Charts anglais. Le morceau tout comme d’autres morceaux de la même époque (comme le Liquidator des Harry J. all Stars) étaient fortement appréciés par les skinhead anglais,( on parle d’ailleurs de «skinhead reggae». On commence à entendre le mot reggae à cette époque, et l’origine de ce terme comme celle de ce qu’on appelle le reggae reste disputée et Lee Perry fait partie de ces quelques protagonistes que l’on soupçonne d’avoir « inventé le reggae » du fait de l' »avance » qu’il avait prise au niveau musical par rapport à d’autres musiciens de l’île.

Fort du succès de « Return of Django », le groupe est invité à tourner en Angleterre, avec Lee Perry en chanteur et bien sûr les frères Barrett qui commencent à devenir la section rythmique principale des Upsetters alors qu’à l’origine ils n’étaient que des « roues de secours » parmi les Hippy Boys. Lee Perry va ensuite enregistrer avec son groupe les albums Many Moods of the Upsetters, Scratch the Upsetter again, et Eastwood Rides again. Scratch montre petit à petit son intérêt pour le cinema en faisant des plus en plus souvent des références aux western italiens et aux films de Kung-fu et plus tard à des films engagés (comme Blackboard Jungle). Cet intérêt pour le cinema se retrouvera aussi dans tous les samples qu’il fera plus tard de dialogues de film. Scratch commence aussi à planter quelques graines qui aboutiront au dub en commençant à expérimenter les subtilités de la table de mixage.

Scratch et les Wailers 1970-1972

A la fin 1969, les Wailers, désemparés et cherchant à se faire enregistrer s’adressèrent à Lee Perry qu’ils connaissaient déjà. Ce dernier n’accepta pas tout de suite car à l’époque il voulait n’enregistrer que des instrumentaux et il n’avait pas besoin de chanteurs. Il les auditionna quand même et il comprit que quelqu’un les avait envoyé car pendant l’audition Bob Marley était en train de chanter My Cup qui contenait une phrase qui résumait bien sa situation « Ma tasse est pleine et je ne sais pas quoi faire ». Perry les accepta donc. Les Wailers commencèrent donc à enregistrer avec les frères Barrett qu’ils connaissaient déjà car ils avaient déjà enregistré Black Progress ensemble. Ils ont commencé par enregistrer My Cup, Riding high, Soul Rebel, et des anciens morceaux qu’ils avaient chanté à Studio One.

Lee Perry sent quand même que Bob Marley, qui devenait le personnage prédominant du trio, ne faisait pas de son mieux, que les chansons qu’il écrivait n’étaient pas encore captivantes, qu’il n’était pas encore grand (ses dreadlocks non plus) et il en conclut qu’il était possédé par un mauvais esprit (duppy en jamaïcain). Lee Perry qui commençait à devenir de plus en plus extravagant raconta plus tard qu’il confina Bob Marley quelque temps dans une salle de sa maison pour qu’il acquiert son génie (de la même manière qu’Aladin), mais surtout il écrit pour lui la chanson Duppy Conqueror qui fut censée chasser ce mauvaise esprit qui le possédait. Cette chanson fut en quelque sorte une étape franchie pour Bob Marley et les Wailers, et alors ils continuèrent d’enregistrer avec Scratch.

Leur collaboration durera jusqu’en 1971. Cette collaboration fut à la fois enrichissante pour les Wailers et Bob Marley qui furent ainsi «prêts» pour conquérir le public mondial, Scratch les ayant aidés au maximum pour les faire progresser et qu’ils donnent de leur mieux. De son côté Scratch profita de cette collaboration pour aller plus loin dans ses expérimentations sonores et musicales, en remixant en dub tous les morceaux des Wailers qu’il pressait en 45 tours et en s’adonnant à des arrangements beaucoup plus originaux. Beaucoup de connaisseurs de reggae considèrent cette période comme majeure dans l’histoire du reggae, car non seulement ce fut selon eux celle pendant laquelle les Wailers firent leurs meilleurs chansons, mais aussi celle qui permit d’élaborer et d’affiner le son « reggae », annonçant un âge d’or qui n’allait tarder à arriver pour Lee Perry, Bob Marley mais aussi pour la musique jamaïcaine dans son ensemble. Bob Marley confia quelques années plus tard que Lee Perry était selon lui un génie. Perry en fit de même pour Bob Marley en le considérant comme le «meilleur musicien qu’il ait jamais connu». Par cette collaboration qui leur permit d’aller très haut plus tard, Bob Marley et Lee « Scratch » Perry sont aujourd’hui considérés comme monuments du reggae.

Mais cette collaboration allait toucher à sa fin à cause de conflits sur des droits d’auteur et des disques que Scratch a sorti sans le consentement des Wailers. Après avoir enregistré des œuvres majeures que sont les chansons compilées dans les albums Soul Rebels, Soul Revolution, les Wailers quittent Lee Perry et « s’emparent » des frères Barrett qui ne sont désormais plus des membres des Upsetters et deviennent des membres permanents des Wailers.

Cette collaboration bien que majeure a tendance à faire oublier les travaux que Scratch a fait pendant cette période de 1970 à 1972. Il enregistra d’autres artistes comme Junior Byles, Max Romeo, et quelques DJ. À cette époque il continua ses expériences et enregistra entre autres les chansons Justice to the people, Kentucky Skank, Bathroom Skank, chansons qui devenaient de plus en plus truffées de bidouillages, de bruitages, de sons fantaisistes un peu de la même manière que les Beatles.

Blackboard jungle Dub 1972-1974

Durant cette période Lee Perry commence à s’affirmer, même s’il ne possède pas encore son propre studio. Le son qu’il produit se rapproche un peu plus du son qui est connu comme le son reggae roots. En 1972 il enregistre des classiques du reggae roots comme Fever chanté par Junior Byles. Ce son reggae roots consiste en une guitare rythmique très sèche, une batterie à l’inverse accentuée sur les sons grave et une basse plus présente et des percussions africaines, des harmonies vocales mises en valeur différemment. Durant cette période, Lee Perry a enregistré beaucoup de disques qui resteront quasiment inconnus hors de Jamaïque jusqu’à temps qu’on les réédite vers la fin des années 1990. Ces enregistrements obscurs ne restent pas moins intéressants. Lee Perry, ses chanteurs et ses musiciens accomplirent en effet plusieurs tours de force.

En 1972, il sort Cow Thief Skank, un morceau de hip-hop avant l’heure, en avance de quelques années par rapport aux DJ de hip-hop. Il s’agit là véritablement d’un « cut » de différent rythmes, c’est-à-dire une succession continue d’extraits de chansons de Lee Perry, de la même manière qu’auraient fait des Dj de hip hop avec des vinyles. En plus de cela Lee Perry a enregistré sur cette bande son un toast (proto-rap) du DJ Charlie Ace.

Suit Cloak and Dagger en 1973, un album d’instrumentaux et de version qui préfigure le dub, agrémenté de différents bruitages, effets sonores, klaxon, boîte à meuh, réalisé avec des musiciens comme Tommy McCook le saxophoniste ténor et les Upsetters (avec les frères Barett). (Cloak and Dagger est le tritre d’un film de 1946).

En dehors de cet album, on remarquera d’autres morceaux originaux, étranges, avant-gardistes, bizarres ou totalement déjantés : Bucky Skank avec le jeu de batterie bancal du batteur Tin Legs (qui selon les dires de ceux qui l’ont connu était inexpérimenté), Jungle Lion, Black Ipa ….

Entre temps Lee Perry produit d’autres chansons peu diffusées mais néanmoins « cultes » du roots reggae comme Curly Locks chantée par Junior Byles, To be a lover (pastiche de I forgot to be your lover de William Bell ) par George Faith et Words (Words of my mouth) chanté par Sangie Davis. Cette dernière chanson, chantée avec beaucoup de conviction et avec une rare puissance, connaîtra un long destin, Lee Perry en fit un de ses classiques et la réutilisa une dizaine de fois en dub, instrumental, versions DJ ….

Lee Perry reprend quelques uns des morceaux cités ci-dessus, les remixe, et produit ainsi l’album Blackboard Jungle Dub . Bucky Skank devient selon David Katz » une cacophonie de cordes grinçantes, de bruits vocaux et et de cuivres  » avec des flutes et des sirènes. Fever,Words de Sangie Davis, Fever, et Dreamland, Kaya Keep on moving des Wailers subissent aussi tous ces remixages. Il pousse donc les plaisanteries de Cloak and Dagger encore plus loin, augmente l’utilisation des effets, de la réverbération, et met encore plus en avant la basse et les percussions. Cet album a apparemment réalisé avec l’aide de King Tubby qui a toujours été généreux avec Scratch et l’a souvent aidé.

Néanmoins cet album -comme tant d’autres de ses productions de l’époque 72-74- est longtemps resté rare (voire introuvable) et les informations l’entourant sont souvent obscures. De gros doutes sont émis sur la contribution de King Tubby sur cet album : une version des faits relate que cet album est une grande et unique rencontre entre King Tubby et Lee Perry, une autre voit en cet album un chef-d’œuvre du génie de Lee Perry. Aussi Blackboard Jungle Dub est sorti avec différentes pochettes, sous différents labels, et en 1973 il ne fut pressé qu’à 300 exemplaires dont seulement 100 pour le Royaume uni. Il existe donc plusieurs éditions de l’album plus ou moins fiables. Celle qui semble la plus complète est l’édition intitulée Upsetters 14 Dub Blackboard Jungle qui contient 14 plages alors que les autres n’en contiennent que 12 et c’est d’ailleurs celle-ci qui est reconnue par David Katz, biographe de Lee Perry. Les autres versions sont sorties sous le nom Blackboard Jungle Dub avec sur la pochette soit un lion fumant un joint, soit un tableau noir et l’ordre et le nom des plages ont été changés. Cette « fausse version » constitue aussi en partie la compilation Scratch Attack. Ces versions ont apparemment été sorties quelques années après (1975, 1980 ou 1990 pour la version CD), et c’est bel et bien l’édition Upsetter 14 Dub Blackboard Jungle avec ses noms de plage et son ordre qui a été retenue par Trojan Records pour le coffret Dub Triptych qui réédite cet album entre autres. Autre preuve de la rareté de ces enregistrements est que cette réédition CD a été faite à partir d’un des vinyles de la première édition et non avec les bandes originales qui n’ont pas été trouvées (elles n’existent sûrement plus).

On est encore loin du dub plus moderne qu’ont pu faire King Tubby ou Scientist plus tard mais les bases sont bien là. Selon la critique actuelle, cet album est le premier véritable album de dub. Selon le magazine britannique The Wire, il y a dans cet album  » une œuvre majeure de génie parmi toute celle qui la suivirent dans tous les genres ». Cet album est au vu des admirateurs de Lee Perry un des plus importants qu’il n’ait réalisé, elle est aussi une œuvre qui commence à être reconnue par d’autres et qui est en train de se faire une place dans l’histoire de la musique expérimentale.

Durant ces années, Lee Perry s’était effacé de la scène internationale naissante du reggae, mais ses productions que l’on pourrait avec du recul qualifier d’Underground, sont magistrales. Lee Perry fonde avec les chansons qu’il a produites les bases de la musique qu’il produit dans les années qui suivent, il fonde en quelque sorte les bases de son studio qui va bientôt voir le jour. Tandis que ses expérimentations de plus en plus osées et affirmées font d’autres de ses productions des nouvelles pistes à explorer, des chefs-d’œuvre précurseurs de nouveaux genres comme le dub et plus tard les musiques électroniques, le trip-hop, le ragga qui en sont de lointains descendants.

Le Black Ark 1974-1979

En 1973, Lee Perry commença a souffrir de la pression d’avoir à compter sur des studios commerciaux pour son travail. La majeure partie de son œuvre avait été enregistrée au studio Randy’s, ou chez Dynamic Sounds. Quelques années plus tôt, lui et sa famille avaient déménagé à Washington Gardens, une banlieue chic de Kingston. C’est ici qu’il eut une sorte de révélation, dans un rêve qu’il fit lors d’une sieste dans le jardin de sa propriété. Il décida d’entreprendre la construction de son propre studio. Vers la fin de l’année 1973, il peint les mots « Black Ark » au dessus de la porte, car il décida qu’il y établirait les 10 commandements du reggae, en référence religieuse à l’Arche d’Alliance où Moïse plaça les Tables de la Loi. Ce qui pouvait ressembler à de la vanité excentrique fut plus tard confirmé par le caractère unique de la musique qui en sortit, à en croire l’engouement des artistes qui s’y pressaient. La musique qu’il enregistra les cinq années suivantes marqua un tournant dans l’histoire du reggae.

Aux commandes de son propre studio, Perry porta ses compétences à un autre niveau, faisant de sa table de mixage un véritable instrument. Les expérimentations des années passées ont ouvert la voie à des nouveaux sons, plus complexes. Le spécialiste du reggae Steve Barrow dira plus tard que « le son du Black Ark était comme la signature d’un peintre sur sa toile », soulignant l’originalité de ces sons. L’aura du Black Ark commençait à attirer parmi les plus grand artistes jamaïcains, des vétérans Heptones jusqu’aux petits nouveaux comme Jah Lion. Travaillant avec passion, il donnait souvent sa chance à des inconnus, leur offrant un premier essai, et enregistrait également des « has-been » en mal de reconnaissance. Même le fils prodigue Bob Marley retourne au Black Ark et enregistre plusieurs morceaux. Alors que d’autres studios pensaient « productivité », Perry était heureux de prendre tout le temps nécessaire pour arriver à la bonne vibe. Une session d’enregistrement au Black Ark faisait penser à une fête, Perry laissant les portes du studio en béton ouvertes, permettant aux curieux de venir y faire un tour, pendant qu’il dansait, tapait des mains, et criait son approbation lorsqu’il était satisfait du résultat. Perry utilisait d’excentriques méthodes, comme nettoyer les têtes des cassettes avec son t-shirt pour ensuite souffler de la fumée de ganja sur les bandes pendant qu’elles tournaient, s’assurant que la musique enregistrée au Black Ark ait un son brut, une qualité magique qui ne pourrait être surpassée.

Utilisant un équipement basique, Perry était capable d’utiliser un 4 pistes et de donner l’impression d’un 8 pistes ou plus en mixant plusieurs pistes sur une seule et en répétant le processus. Avec un matériel loin du dernier cri, il se débrouilla pour créer un certain nombre d’astuces qui étonnent encore les producteurs d’aujourd’hui. « Il n’y avait que 4 pistes sur la machine, » expliqua Lee Perry, énigmatique « mais j’en piochait 20 chez les extra-terrestres ».

Entre 1974 et 1979, beaucoup de pièces maîtresses de l’âge d’or du reggae sortirent du Black Ark. Notamment Max Romeo (War In A Babylon), The Upsetters (Super Ape), Junior Murvin (Police And Thieves), The Heptones (Party Time), et The Congos (Heart Of The Congos), ainsi que de nombreux singles. Cette époque a représenté l’apogée de la musique jamaïcaine, le reggae a son plus haut niveau.

Pendant ce temps, le climat politique en Jamaïque commençait à chauffer. Les deux principaux partis disposaient de « gunmen » pour faire régner l’ordre dans les rues de Kingston et asseoir leurs positions. De nombreuses chansons anti-violentes ont vu le jour, décrivant une prochaine apocalypse, comme « War Ina Babylon » de Max Romeo, « Cross Over » de Junior Murvin, et « City Too Hot », l’appel à la raison lancé par Lee Perry. Durant cette période, les productions Black Ark reflétèrent assez fidèlement ce climat et cette confusion.

Contre ce contexte vif, le son du Black Ark commençait à être internationalement reconnu. Perry fixa un accord de distribution internationale avec Island Records, et attire bientôt l’attention du milieu rock, comme Paul McCartney, Robert Palmer, ou encore les Clash. Des journalistes commençaient à voyager en Jamaïque pour rencontrer l’Upsetter, dont le studio devint célèbre au-delà de l’île.

La fin du Black Ark

En dépit de la musique incroyable et des vibes magiques de l’arche noire, Vers la fin des années 1970, tout n’allait pas bien au royaume de Perry. Pique-assiettes et vagabonds ont commencé à lui taper sur les nerfs, et faire de la musique est devenu de plus en plus difficile.

Les sessions d’enregistrement-marathons carburées à la ganja et à l’alcool a commencé à se faire sentir sur le travail. Island Records avait considéré certains de ses plus grands enregistrements comme insortables. Le Black Ark est également devenu la cible de bandits locaux qui ont commencé à faire pression pour obtenir de l’argent de protection.

La relation de Perry avec sa femme a commencé à tomber en morceaux. Les demandes polies et moins polies n’ont pas réussi à faire sortir les « mauvaises herbes » de son jardin ; bientôt, Scratch s’est tourné vers des méthodes plus étranges pour se débarrasser des indésirables rude boys. Le Black Ark a bientôt atteint le point d’ébullition, et un point de non retour pour Perry.

L’arche noire a cessé de fonctionner dès 1979. Grillé physiquement, mentalement, et spirituellement, Lee Perry et son studio sont tombés en morceaux. Son épouse Pauline l’abandonne, prenant les enfants avec elle. Perry se retrouve sur une corde raide entre l’imagination et la réalité, et le départ de sa famille a semblé l’enfoncer un peu plus dans le chaos.

Une nouvelle et inquiétante personne a émergé, et tandis que Perry déclarait que c’était une démarche volontaire pour nettoyer la maison de gens qu’il ne voulait plus autour de lui, l’humeur de l’Upsetter était clairement sujet d’inquiétudes. Les visiteurs et les journalistes sont arrivés chez Lee Perry pour le trouver vénérant des bananes, vandalisant le studio, et débitant de longues et violentes diatribes. Des bobines de bandes étaient répandues sur le plancher, et les appareils d’enregistrement étaient presque inutilisables en raison des dommages de l’eau qui perfusait à travers le toit troué. Le studio jadis puissant était maintenant plus ou moins un dépotoir.

En avril 1979, Perry a reçu une visite de Henk Targowski, un imprésario et le propriétaire du Black Star Liner, une maison de production et de distribution basée en Hollande. Targowski a voulu distribuer la musique de Lee Perry, mais n’était pas préparé à la folie qu’il rencontrait au Black Ark. Avec quelques associés, Targowski décide de tenter une opération de sauvetage du studio, essayant de remettre le studio en état de marche. Financé par la Black Star Liner, le travail de reconstruction a progressé tout au long de l’année 1980, du nouvel équipement a été commandé et installé. Au printemps 1980, cependant, le projet de restauration a été abandonné, et l’équipe de la Black Star Liner quitte la Jamaïque pour de bon. Ce qui avait été soigneusement reconstruit fut vandalisé, démonté et détruit par Perry.

En 1981, avec sa vie et son studio en ruines, l’Upsetter quitte la Jamaïque et passe son temps à New York, et joue dans des concerts de groupes locaux de reggae. Une série de grands concerts a lieu, notamment avec les Clash à New York en juin 1982. Perry retourne alors en Jamaïque, et commence peu après à enregistrer un nouvel album, « Mystic Miracle Star ». Il semble qu’après deux ans de confusion, Lee Perry a retrouvé la forme. Cependant, le désastre était juste au coin de la rue.

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Un matin de 1983, le Black Ark Studio fut détruit. L’incendie a fait rage dans la structure en béton, la température à l’intérieur devint si intense que le toit a finalement été soufflé. Le studio, source d’une partie de la musique la plus puissante jamais enregistrée, tombe progressivement en ruines. « The Black Ark was too black and too dread, » Perry expliqua plus tard. « Bien que je sois noir, je me dois de le brûler, pour sauver mon esprit. Il était trop noir. Il voulait m’avaler » La destruction ardente de l’arche noire est devenue un point-clé dans la légende Lee Perry. Lee Perry clama plusieurs fois qu’il avait brûlé le studio lui-même dans un accès de frustration, mais il est probable que nous ne sachions jamais la cause exacte du feu — s’il a été allumé de la propre main de Perry ou provoqué par un problème électrique –mais la destruction du Black Ark Studio fut complète.

Lee Perry en « exil »

Après avoir passé trois jours en prison, suspecté d’incendie, Perry n’a nulle part où aller. Sa vie en Jamaïque est en ruines, s’ensuit une période d’exil, en Angleterre majoritairement. Tournant le dos à la production, il se concentre alors sur l’expression de son œuvre, qui semble être un support infini. Pendant cette période, son travail est irrégulier; collaborations douteuses et faux départs sont au rendez-vous. Sa relation fragile avec Island Records se brise lorsqu’il traite le chef d’Island Chris Blackwell de vampire et dit qu’il est responsable de la mort de Bob Marley.

Lee Perry travaille ensuite avec des groupes de Londres, et commence à se produire sur scène. Finalement, l’album Battle Of Armagideon (Millionaire Liquidator) voit le jour en 1986. L’opus, plein de surprises, sonne comme un témoignage de la situation de Perry : après des années de confusion, « the Upsetter was ready to upset again ». L’année suivante, Perry fait équipe avec le producteur anglais Adrian Sherwood et donna naissance à « Time Boom X De Devil Dead ». Travaillant avec le Dub Syndicate, « les Upsetters de Sherwood », « Time Boom » fut un retour en arrière à l’époque des jours de gloire du Black Ark pour Perry. Le son insufflé par Sherwood correspondait parfaitement à l’Upsetter. Fort de deux nouveaux albums, Perry est remis sur pieds pour de bon.

Lee Perry en Suisse

En 1989, Lee Perry cesse d’errer à droite à gauche et part s’installer en Suisse avec sa nouvelle femme Mireille Ruegg, une zurichoise qui devient le manager de Scratch. Loin de l’effervescence de la scène musicale jamaïcaine, Lee Perry devint un « family man » heureux. Il a eu deux enfants avec Mireille, un garçon Gabriel, et une fille Shiva. Vers le milieu des années 1990, il travailla sur un nouveau studio, basé dans la cave de sa propriété de Zurich: le « White Ark », son « laboratoire secret » où « aucun homme n’est entré avant ».

20 ans après l’apogée du Black Ark, Lee Perry connaît une renaissance avec une nouvelle vague de fans de sa musique. Fans et critiques redécouvrent la musique de Perry, notamment avec les Beastie Boys en 1996, et l’Upsetter profite d’un regain de popularité. Les compagnies d’enregistrement ne tardent pas à réagir à l’engouement du public, et une grande variété de collections produites par Lee Perry sont rééditées, ainsi que de nombreux albums. Cette vague donna naissance à l’Arkology en 1997, anthologie du Black Ark en 3CD préparée par Steve Barrow et David Katz, deux fans de Perry. A la surprise générale, il se produit dans deux concerts à guichets fermés en avril 1997 à San Francisco, ses premiers spectacles depuis plus de 15 ans aux USA. Il apparaît également à New York, dans un concert pour le Tibet libre. Une grande tournée américaine et européenne s’ensuit, tout en sortant régulièrement des rééditions.

En Juin 2000, David Katz publie une grande biographie de l’Upsetter: « People Funny Boy: The Genius Of Lee « Scratch » Perry ».

Lee Perry reste le « mad scientist », installé dans sa forteresse montagnarde, surplombant le lac de Zurich, BMW garée dans l’allée. Il visite la Terre de temps à autres, mais reste la plupart du temps dans son propre univers.

Un long métrage documentaire est en production maintenant par Volker Schaner avec le titre « Vision of Paradise ».

Lee Sratch Perry discographie complète

Jamaïque 1969-1979

The Upsetter (1969)

Return of Django (1969)

Many Moods of the Upsetters (1970)

Scratch the Upsetter Again (1970)

The Good, the Bad and the Upsetters (1970)

Eastwood Rides Again (1970)

Africa’s Blood (1972)

Cloak and Dagger (1973)

Rhythm Shower (1973)

Upsetters 14 Dub Blackboard Jungle (1973)

(cet album est paru plus tard sous le nom Blackboard Jungle Dub en CD mais avec deux morceaux en moins, des plages dans un ordre différent et avec des noms différents)

Clint Eastwood (???)

Double Seven (1974)

DIP Presents the Upsetter (1975)

Musical Bones (1975)

Return of Wax (1975)

Kung Fu Meets the Dragon (Heart of the Dragon) (1975)

Revolution Dub (1975)

Super Ape (1976)

Return of the Super Ape (1978)

Roast Fish Collie Weed & Corn Bread (1978)

Albums sortis entre 1979 et 2006

The Return of Pipecock Jackxon (1980)

Mystic Miracle Star (1982)

History, Mystery & Prophecy (1984)

Battle Of Armagideon (Millionaire Liquidator) (1986)

Time Boom X – De Devil Dead (avec Dub Syndicate) (1987)

On the Wire (1988)

Chicken Scratch (1989)

Mystic Warrior (1989)

Mystic Warrior Dub (avec Mad Professor) (1989)

From The Secret Laboratory (avec Dub Syndicate) (1990)

Satan’s Dub (avec Bullwackie) (1990)

Lord God Muzik (1991)

Sounds From The Hotline (1991)

The Upsetter and The Beat (1992)

Excaliburman (1992)

Spiritual Healing (1994)

Black Ark Experryments (avec Mad Professor) (1995)

Experryments at the Grass Roots of Dub (avec Mad Professor) (1995)

Super Ape Inna Jungle (avec Mad Professor) (1995)

Who Put The Voodoo Pon Reggae (avec Mad Professor) (1996)

Dub Take The Voodoo Out Of Reggae (avec Mad Professor) (1996)

The Original Super Ape (15 titres, 1997, Charm)

Dub Fire (avec Mad Professor) (12 titres, 1998, Ariwa)

Son of Thunder (30 titres, 2000, Recall)

Jamaican ET (15 titres, 2002, Trojan)

Earthman Skanking (15 titres, 2003, NMC Music)

Encore (2003)

Alien Starman (15 titres, 2003, Secret)

Panic in Babylon (13 titres, 2004, Damp Music)

Alive, more than ever (14 titres, 2006, Damp Music)

Lee Scratch Perry Compilations

Chicken Scratch (produit par Coxsone) (1963-1966)

Reggae Greats: Lee « Scratch » Perry (1984)

Open The Gate (1989)

Upsetter Collection (1994)

Upsetters A Go Go (1995)

Introducing Lee Perry (1996)

Words Of My Mouth Vol.1 (The Producer Series) (1996)

Voodooism (Pressure Sounds) (1996)

Arkology (1997)

The Upsetter Shop Vol.1: Upsetter In Dub (1997)

Dry Acid (1998)

Lee Perry Arkive (1998)

Produced and Directed By The Upsetter (Pressure Sounds) (1998)

Lost Treasures of The Ark (1999)

Upsetter Shop Vol.2 1969-1973 (1999)

Words Of My Mouth Vol.2 (The Producer Series) (1999)

Words Of My Mouth Vol.3 (Live As One/The Producer Series) (2000)

Scratch Walking (2001)

Black Ark In Dub (2002)

Divine Madness … Definitely (Pressure Sounds) (2002)

Dub Tryptych (2000)

(réédition en coffret CD de Cloak and Dagger, Blackboard Jungle Dub, Revolution Dub)

The Upsetter Selection – A Lee Perry Jukebox (2007)

Autres contributions

Dr. Lee, PhD de l’album des Beastie Boys Hello Nasty (1998)

Videos

Lee Scratch Perry: The Unlimited Destruction, 2002, USA

Lee Scratch Perry: In Concert – The Ultimate Alien, 2003, USA

Lee Scratch Perry With Mad Professor, 2004, USA

Roots Rock Reggae – Inside the Jamaican Music Scene 1977

Livres

* People Funny Boy : The genius of Lee Scratch Perry de David Katz en anglais livre très complet qui en plus de donner quelque chose de très complet sur Lee Perry fait un panorama assez fiable de la musique jamaïcaine des années 1950 aux années 1970 et donne des informations précise sur d’autres musiciens jamaïcains que ne donnent pas forcément d’autres livres généraux sur le reggae.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Black_Arkhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Lee_Scratch_Perry

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