Ah, 1980. Une année charnière où le dub s’échappait des studios jamaïcains pour conquérir des terres nouvelles.
Et au milieu de ce tumulte musical, débarque LKJ in Dub, un OVNI signé Linton Kwesi Johnson, le poète militant devenu alchimiste du son.
Imaginez un instant : des mots coupés, des basses en apnée, des rythmiques qui cognent et résonnent comme le souffle d’un tambour dans la nuit londonienne. Ce disque, c’est le dub qui rencontre la poésie, un mariage aussi improbable qu’envoûtant.
Tracklist
Tous les morceaux ont été composés par Linton Kwesi Johnson, revisités ici en versions dub :
- Victorious Dub – 3:32
- Reality [dub] – 2:45
- Peach Dub – 3:48
- Shocking [dub] – 4:45
- Iron Bar Dub – 3:42
- Bitch Dub – 4:35
- Cultural Dub – 3:27
- Brain Smashing Dub – 3:27
L’art du silence et des échos
LKJ in Dub, c’est avant tout une expérience sonore. Linton Kwesi Johnson, qu’on connaissait déjà pour ses tirades engagées sur Forces of Victory et Bass Culture, choisit ici de se taire. Ou presque. Exit les mots ; place à l’instrumental, retravaillé par Dennis Bovell, alias Blackbeard, le sorcier des tables de mixage.
Chaque piste devient une plongée dans l’abysse, où les basses grondent, les cuivres chuchotent et les percussions éclatent comme des étoiles dans un ciel nocturne.
Et quelle audace ! Pas de voix, pas de solos flamboyants. Juste une vibration qui s’étire et se déforme, laissant l’imagination faire le reste. C’est du dub dans sa forme la plus brute, la plus pure, mais aussi la plus introspective.
Des avis divisés
Le moins qu’on puisse dire, c’est que LKJ in Dub a divisé.
Pour certains, c’est un coup de génie. Trouser Press parle d’un « exemple intéressant et réussi de la technique dub ».
The New York Times, toujours élégant, compare l’album à I Wah Dub de Dennis Bovell, en le trouvant « moins gadget, mais émotionnellement plus satisfaisant ».
Mais attention, ce disque ne plaît pas à tout le monde. The Boston Globe se montre plus sévère : « De bons grooves, certes, mais sans voix ni instruments solos, il est difficile de s’y accrocher. »
Un reproche récurrent, mais qui rate peut-être l’essence même du projet. Ici, l’objectif n’est pas de séduire. C’est une œuvre à apprivoiser, une transe sonore où l’absence devient une force.
Une dream team au service du dub
Derrière les machines et les amplis, une brochette de musiciens de haut vol :
- Basses grondantes : Floyd Lawson et Vivian Weathers, qui font vibrer l’échine.
- Batterie millimétrée : Winston Curniffe et Lloyd « Jah Bunny » Donaldson.
- Cuivres mélancoliques : Rico au trombone, Dick Cuthell et Henry Tenyue à la trompette et au bugle.
- Claviers planants : Dennis Bovell et Webster Johnson, maîtres de l’atmosphère.
Chaque note, chaque silence, chaque écho est une brique dans cet édifice sonore complexe. Et quand on sait que Dennis Bovell est aussi derrière le mixage, on comprend mieux cette précision chirurgicale.
Et si on écoutait le silence ?
Avec LKJ in Dub, Linton Kwesi Johnson prouve qu’il n’a pas besoin de mots pour frapper juste.
L’album est une déclaration d’amour au dub, mais aussi une réflexion sur l’essence même de la musique. Que reste-t-il quand on retire la voix, quand on efface l’ego des instruments solos ? La réponse est là, dans ces huit pistes hypnotiques, où chaque vibration raconte une histoire.
Alors oui, ce n’est pas un disque facile. Mais pour qui sait écouter, LKJ in Dub devient une méditation, une bulle hors du temps. Fermez les yeux, laissez les basses vous envelopper, et plongez. Vous ne serez peut-être plus tout à fait le même en revenant.